Chronique végétale : Apprécier l'invisible

Dans mon jardin

Chronique végétale : Apprécier l'invisible

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Épisode du mercredi 13 novembre 2019 à 12:55

Apprécier l’invisible

 

Tous les cueilleurs de champignons, les promeneurs dans les bois, n’ont pas manqué de constater l’étonnante diversité de champignons observée cet automne. À défaut d’avoir rempli le panier de cèpes, les yeux se sont remplis d’une diversité fongique de couleur et de forme. Mais qui soupçonne que sous nos pas se joue une alliance très ancienne et qui a changé à jamais le paysage végétal sur terre.

On va parler dans cette chronique d’une association surprenante que font certains champignons avec les racines des arbres, un « mariage » heureux qui profite aux deux membres.

 

L’essentiel est invisible à nos yeux

 

La plante, ce n’est pas seulement ce qu’on voit au-dessus du sol. Le tiers de la masse des plantes est dans le sol, sous nos pieds. Et cette biomasse souterraine, ce sont les racines mais pas que. C’est toute une communauté d’êtres vivants qui accompagne ces racines, tout un écosystème que l’on appelle la rhizosphère. 1 gramme de sol, c’est-à-dire une cuillère à café, ce sont 250 espèces fongiques et 40 milliards de bactéries. Ainsi, une plante peut héberger 10 à 100 espèces d’organismes différents au niveau de ses racines.

Le champignon se représente classiquement comme quelque chose qui dépasse du sol en automne et disparaît ensuite. Le champignon vit en fait sous forme de filaments microscopiques, invisibles à l’œil nu, dans le sol ou dans le bois. Ces filaments sont appelés « hyphes ». Il peut arriver que ces hyphes s’agglomèrent et forment des filaments, cette fois visibles, et appelés alors « mycélium ». Dans tous les cas, le champignon vit sous nos pieds, sans de faire remarquer. Il aime prendre de la place et s’étaler (dans 1 cm³ de terre s’étalent près de 1 km d’hyphes). Ce qui émerge du sol, visible par tous, c’est tout simplement son organe de reproduction, le champignon, ou de façon plus savante, le carpophore, qui lui permet de disséminer ses spores.

1/3 de la biomasse de la plante échappe à notre vue. Seul est visible l’organisme de dissémination des spores chez les champignons, cela peut paraître frustrant. Pourtant, c’est dans le sol, avec les racines et le mycélium, que va s’opérer une surprenante association, la mycorhize.

 

La mycorhize

 

C’est une interaction entre les filaments d’un champignon et les racines d’une plante. Mais c’est davantage qu’une simple interaction. Cette association s’accompagne d’une modification de la morphologie racinaire. Le champignon et la racine forment ainsi un organe mixte.

Dans certaines mycorhizes (les ectomycorhizes), le mycélium s’enroule en manchon autour de la racine et s’insère entre les cellules, sans pénétrer la paroi cellulaire. Les champignons impliqués sont principalement ceux qui font la joie des promeneurs : cèpes, russules, girolles, etc. Dans d’autres (les endomycorhizes), le mycélium pénètre la paroi cellulaire et forme une structure globulaire. La surface de contact est encore plus étroite que dans le cas précédent. Les champignons responsables sont des champignons microscopiques.

 

Un « mariage » heureux

 

La mycorhize permet à la plante de se nourrir. Le champignon lui fournit eau et sels minéraux, la plante en retour lui fournit vitamine B et sucres, fabriqués par la photosynthèse. 20 à 40 % des sucres fabriqués par la plante sont ainsi distribués au champignon. Le champignon a donc un rôle vital dans la nutrition de la plante.

D’un point de vue défensif : le champignon protège la racine des agressions externes. La mycorhize augmente également la résistance de la plante aux pathogènes. Les plantes mycorhizées se défendent mieux et leurs feuilles sont moins consommées par les insectes, car elles contiennent davantage de tanins. Par conséquent, ces plantes présentent une plus forte réactivité immunitaire. La mycorhize modifie, remanie le système immunitaire de la plante qui est co-construit avec le champignon. La mycorhize est donc un organe non seulement mixte, mais également chimérique.

Les hyphes fongiques sont également capables de synthétiser une hormone, l’auxine, fabriquée également par la plante pour sa croissance. Cette hormone a certainement un rôle à jouer dans la croissance racinaire de la plante. L’augmentation du système racinaire permet à la plante une meilleure résistance à la sécheresse (plus grande surface de captation de l’eau) et une meilleure capacité de prospection de l’environnement pour capter des substances nutritives.

Dans le sol, on peut compter jusqu’à 1 km d’hyphes par mètres de racine. Un filament de champignon coûte 100 x moins cher à produire qu’une longueur équivalente en racine. De plus, le filament permet d’explorer davantage de volume de sol. Par conséquent, la mycorhize est physiologiquement moins chère à mettre en place et permet d’aller partout. Les hyphes des champignons ectomycorhiziens sont capables de dissoudre les minéraux de la roche et permettre ainsi à la plante de profiter de ressources inaccessibles aux racines seules, mais aussi de puiser des minéraux dans la matière organique du sol. Les champignons sont ainsi des créateurs de sol.

 

Une stratégie ancienne pour prendre pied sur le sol.

 

Il y a près de 500 millions d’années, les plantes s’aventurent sur le milieu terrestre. Pour coloniser la surface de la Terre, les premières plantes ont acquis des structures leur permettant de survivre hors de l’eau. Elles ont mis en place un revêtement étanche, des éléments pour transporter la nourriture, etc. Pour obtenir les éléments minéraux dont elles avaient besoin et qui ne se trouvaient pas à l’état dissous dans le sol, on pense qu’elles se sont associées à des champignons. À cette époque les plantes n’ont pas de racines, mais on trouve déjà des champignons qui nourrissent ces plantes. Les 1ʳᵉˢ ectomycorhizes apparaissent il y a 50 millions d’années. La mycorhize serait ainsi à l’origine de la colonisation de la terre par les plantes aquatiques.

 

La collaboration, une stratégie gagnante

 

Il y a encore 130 ans, la science pensait que le mode relationnel privilégié dans le vivant était la compétition. Depuis 50 ans à peine, elle observe et reconnaît que la coopération entre les espèces est également un mécanisme essentiel de l’évolution. Modéliser cette coopération, la comprendre, sera parmi les défis de la biologie de demain. C’est toute l’odyssée du vivant qu’on peut repenser, tissée de réseaux ou tout s’entre-mêle sans cesse, où le mutualisme et la coopération semblent des moteurs essentiels du vivant.

L’importance de la coopération dans l’histoire du vivant est une leçon à assimiler pour le fonctionnement de nos sociétés mais aussi à respecter davantage cet environnement dont on fait partie et sans lequel on n’est plus rien.

 

Source :

 

http://gillesw.over-blog.com/2019/01/champignons-et-lichens-dans-l-ecosysteme.html

 


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