''Notre rentabilité est constamment sur le fil du rasoir'', le modèle agricole est-il à bout ?
Depuis lundi, un mouvement de protestation a vu le jour chez nos voisins allemands. Les agriculteurs sont dans la rue pour dénoncer la baisse des subventions de l’Etat. On en parlait avec notre invité dans le Grand Réveil.
Son N°1 - ''Notre rentabilité est constamment sur le fil du rasoir'', le modèle agricole est-il à bout ?
Fabrice Couturier, président de la FDSEA de Moselle
Les agriculteurs sont dans la rue pour dénoncer la baisse des subventions de l’Etat. Faites-vous le même constat ici en Moselle ?
C’est une vaste question. Il y a beaucoup de sujets d’inquiétudes pour les agriculteurs. On attend de nous beaucoup de choses. On attend qu’on continue à produire une alimentation qui soit saine, quoi soit abondante et qui soit abordable en termes de prix. Le contexte de prix n’est plus le même qu’il y a 3 ans et tout à exploser ce qui veut dire que l’agriculteur pour produire du blé, pour produire du lait, de la viande, il a besoin d’acheter des matières premières qui vont lui permettre de produire, il a besoin d’énergie, il a besoin de matériel, il a besoin d’engrais etc. Le prix de revient à exploser et donc on est obligé de répercuter ces prix de vente sur le consommateur. C’est un exercice qui est accepté par le consommateur jusqu’à une certaine limite et on le voit depuis quelques mois, les volumes achetés en grande surface ont tendance à baisser. Il faut bien que les gens continuent à se nourrir mais il y a une notion d’acceptabilité du prix ou alors il faudra qu’on se nourrisse mieux mais au détriment d’autre chose. Après, on attend de nous aussi qu’on produise de façon vertueuse. Qu’on séquestre du carbone, qu’on produise de l’énergie, donc tout ça, ça demande soit de très gros investissements pour rester productif mais en baissant vraiment notre impact sur l’environnement et donc ça atteint notre productivité puisqu’on produit pour plus cher, soit on est plus vertueux en termes d’environnement et on revient un peu à ce que faisaient nos grands-parents mais on baisse en productivité et donc ça impact également notre prix de revient. Notre rentabilité est constamment sur le fil du rasoir.
Sans ces subventions il n’y a plus d’agriculteurs ?
On est subventionnés d’une manière ou d’une autre depuis les années 50. Ce sont des primes, au départ, compensatoires. Le deal de l’Europe avec les agriculteurs c’est : vous vendez en-dessous de votre coût de production et nous on va compenser par des primes pour que les consommateurs achètent de la nourriture pour rien ou pour presque rien, c’est ça le deal entre la France, l’Europe et les agriculteurs. Aujourd’hui, le problème, c’est que les primes que l’on perçoit ne couvrent plus du tout ce delta, ce manque à gagner. Pour moi, on traverse une crise au niveau de l’élevage qui est absolument sans précédent.
Aujourd’hui à quel prix devrait être vendus vos productions pour que ça soit rentable ?
Tout dépend des productions mais par exemple aujourd’hui le blé doit valoir 200€ la tonne, si je raisonne en franc constant, mon grand-père dans le début des années 80 le vendait 350 à 370 et toutes les productions agricoles sont les mêmes. Et d’un autre côté, nos coups d’exploitation ont bien sûr explosés. On a une course à l’agrandissement des exploitations qui était un des moyens de parvenir à continuer d’exister mais avec des conséquences, une baisse du nombre d’actifs, une déshumanisation du métier, ça n’a pas eu que des conséquences heureuses. Le consommateur a l’impression de payer cher alors qu’il se nourrit pour rien.
Côté météo, il y a aussi les conséquences du changement climatique. La pluie de ces dernières semaines est-elle une bonne chose ? Êtes-vous freiné par le froid ? Comment on peut s’adapter à ce phénomène en tant qu’agriculteur ?
Une période de froid comme en ce moment c’est tout à fait normal, ça rend service à la nature. Quand vous avez une période de gel qui arrive sur des sols qui sont saturés en eau il y aura des conséquences sur les cultures qui sont en terre aujourd’hui. Quelles conséquences ? Aujourd’hui je n’en sais rien. On peut avoir du vrai froid jusqu’à fin février début mars. Je me rappelle en 2012 on a eu la vague de froid deuxième quinzaine de février et puis on a tout resemé, c’est des choses auxquelles on est habitués. Ce n’est pas ça qui inquiète les agriculteurs, c’est vraiment cette pression de prix et cette pression réglementaire avec toutes ces contraintes environnementales qui ne sont pas rétribuées par ailleurs. C’est ça qui inquiète les agriculteurs et qui fait sortir nos confrères allemands en ce moment.