Saviez-vous que Janos Peter Weismuller, alias Tarzan à l'écran, avait de la famille en Alsace-Lorraine ?

Un point d’histoire avec Bertrand

Saviez-vous que Janos Peter Weismuller, alias Tarzan à l'écran, avait de la famille en Alsace-Lorraine ?

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Épisode du jeudi 20 février 2025 à 12:30

Saviez vous que Tarzan avait de la famille en Alsace-Lorraine ?

Enfin pas l’homme singe décrit par Edgard Rice Burrough mais plutôt un certain Janos Peter Weissmüller plus connu avec son prénom américain de Johnny Weissmüller. Né le 2 juin 1904 à Freidorf en Hongrie (actuelle Roumanie et mort le 20 janvier 1984 à Acapulco au Mexique, est un nageur olympique américain, cinq fois médaillé d'or aux Jeux olympiques et longtemps recordman du 100 m nage libre, ainsi qu'un acteur de cinéma, célèbre pour avoir incarné le personnage de Tarzan à douze reprises durant les années 1930 à 1950.

Cette commune de Freidorf a été fondée en 1720 par des colons en majorité originaires d’Alsace. Ce sont eux qui ont décidé de l’appeler ainsi car ces émigrés volontaires étaient exemptés de taxes et d’impôt durant un certain nombre d’années. Pour comprendre le contexte, il convient revenir un peu sur ces villages alsaciens-lorrains fondés au 18 e siècle dans des régions appelée Banat et Batchka. Il s’agit d’une région grande comme la Belgique.

Le Festival Mir Redde Platt 2010 à Sarreguemines a mis à l’honneur cette émigration rappelant les circonstances dans lesquels des lorrains se sont retrouvés à coloniser une région à cheval entre la Roumanie, la Serbie et la Hongrie actuelle.

Dans le livre de Joseph Rohr, l’arrondissement de Sarreguemines, l’auteur cite les noms de familles qui ont quitté la région pour rejoindre les rives du Danube. Il s’agit de plusieurs centaines de personnes rien que sur le secteur de Sarreguemines, or il y a certainement des familles qui sont parties discrètement et n’ont pas été répertoriées comme ayant quitté la région.

Donc nous n’avons les noms qu’à partir de 1763 : de Sarreguemines partent les familles de Jacques Scher, Christian Arnold, Jean-Pierre Arnold, Jean Pickelberger, Georges Wulleweber, Martin Probst, Caspar Kuhn, Claude Maujean, Joseph Dornauer. Bien sûr ils partent avec femmes et enfants en vendant leur peu de biens avec un départ sans espoir de retour.

L’arrivée de ces colons correspond à la fin de la guerre Vénéto-Austro-Ottomane de 1716 à 1718 : L’Autriche s’est alliée à Venise qui était déjà en guerre contre les Ottomans. Au traité de Passarowitz de 1718 le sultan cède à l’Autriche une partie de la Serbie et ce que l’on appelle le Banat. L’empereur d’Autriche Charles VI envoie des recruteurs dans les Pays de langue allemande. C’est ainsi que des envoyés circulent en Alsace, en Lorraine, au Luxembourg et en Sarre-Palatinat. Ils promettent aux artisans et au paysans de financer le voyage et la construction de maisons au Banat ainsi que la concession de terres d’environ 25 ha ainsi que la fourniture d’ustensiles agricoles, le tout sans taxes ou impôts durant plusieurs années. L’objectif de l’empereur est bien sûr d’enrichir ses domaines avec de nouveaux sujets capables au bout de quelques années de servir de main-d’œuvre, de devenir le grenier à blé de l’Autriche Hongrie et de pouvoir enrôler les jeunes dans son armée. Cette terre du Banat est fertile mais marécageuse. Les travaux sont colossaux pour mettre en culture les terrains, il faut creuser des canaux pour drainer les marécages, construire les exploitations agricoles, créer des églises, des routes, des ponts et des canaux en plus des travaux agricoles forcément pénibles. Les espoirs des premiers colons ont été amèrement déçus dans les premiers temps de leur arrivée dans le Banat. Le climat inhabituel, avec des étés chauds et des hivers froids, ainsi que la fièvre des marais, qui survient dans les plaines en raison des inondations saisonnières, ont donné du fil à retordre aux colons.

Une expression résume bien les conditions d’implantation : die Ersten fanden den Tod, die Zweiten hatten die Not, die Dritten verdinten das Brot : Les premiers trouvèrent la mort, les seconds la misère, les troisièmes eurent le pain.

La plupart des n’ont pas survécu aux conditions difficiles de leur installation. Néanmoins des dizaines de villages nouveaux sont créés, selon des plans carrés, avec les rues se recoupant à angle droit. Le voyage se fait dans des carrioles, puis ils sont regroupés à Ulm en Bavière pour rendre des radeaux appelés Ulmer Schartel flottant sur le Danube avant de rejoindre leur lieu d’affectation.

Un musée à Ulm est entièrement consacré à cette émigration. Et regroupe toutes les informations qu’ils peuvent trouver sur cette population.

Ces nouvelles implantations se font à part des villages déjà existants, ainsi une quarantaine de villages germanophones sont créés comme Mercydorf, Freidorf, Gotlob, Hatzfeld, Gross Sankt Nikolaus mais aussi 3 villages francophones avec des émigrants venant de la région de Lunéville sont créés les villages de Seultour, Charleville, et Saint Hubert.

Il y a eu durant le 18e siècle 3 périodes principales où l’on a recruté dans notre région pour coloniser le Banat et la Batschka. Une première période des années 1720 à 1735 organisé pour l’empereur Charles VI de Habsbourg par Claude Florimont de Mercy. Ce personnage est né en 1666 à Thionville. Il s’est engagé dans l’armée autrichienne et a participé à toutes les batailles de l’empire. A partir de 1718, il est nommé administrateur général du Banat et ainsi dirige les travaux permettant de créer de nouvelles implantations, il s’implique vraiment beaucoup pour réussir dans cette mission de transformer cette région frontalière avec l’empire ottoman.

Mercydorf est baptisé ainsi en l’honneur du comte de Mercy, devenu marquis d’empire.

Ce programme a été continué par la fille de Charles VI, Marie Thérèse d’Autriche. Elle fait organiser une deuxième campagne de recrutement dans les années 1750-1760. Elle a épousé en 1736 l’ancien duc de Lorraine François III Etienne de Lorraine, devenu en 1745 empereur d’Autriche, roi de Hongrie sous le titre de Kaiser Franz Stefan der Erste.

De nouveaux recruteurs se présentent donc en Alsace, en Lorraine, en Sarre et au Luxembourg. Et cette campagne est encore organisée à partir de 1780 par le fils du couple impérial, Joseph II nommé co-régent à partir de 1765. Joseph II est d’ailleurs également comte du Luxembourg, dont Thionville et sa région faisaient partie.

Au siège du duché de Lorraine on est plutôt mécontent du départ de nombreux migrants et l’administration cherche à dissuader les départs mais cela est lié la politique organisée par Antoine Chaumont de la Galaizière nommé chancelier de Lorraine et chef de ses conseils par lettres patentes en 1737, avec de très grands pouvoirs. Stanislas Letzynski, ancien roi de Pologne a abandonné la réalité du pouvoir au roi de France. Chaumont de la Galaizière reçoit aussi de Louis XV une commission le nommant « intendant des troupes françaises en Lorraine ».

Chaumont de la Galaizière jusqu’en 1758 puis son fils Antoine, qui restera en place jusqu'en 1777, procèdent au rattachement de la Lorraine à la France qui devient officielle à la mort de Stanislas en 1766. Cette administration royale a très rapidement dérangé la population du duché car les impôts et prélèvements ont été doublés en quelques années. En cause les besoins dispendieux de l’ex roi de Pologne, qui fait agrandir à Lunéville le château de « Versailles Lorrain », à Nancy (on pense aux immeubles de la place Stan…) mais aussi au train de vie de l’intendant de La Galaizière lui-même avec ses propres châteaux, sans compter qu’une partie des impôts sont aussi reversés en contribution à la couronne de France. Toutes ces transformations économiques et administratifs entrainent un appauvrissement de la population combiné à des crises frumentaires et explique le succès des campagnes de recrutement en Lorraine pour cette émigration vers le Banat et la Batschka.

Ce sont ainsi près de 200 000 personnes qui émigrent et l’on estime que sur un siècle jusqu’à 50 000 lorrains ont quitté leurs foyers pour essayer de trouver de meilleures conditions en Europe Centrale.

Ces populations parlent donc majoritairement le francique même s’ils sont connus comme des Danau Schwaben, les souabes du Danube, les souabes ne formant qu’une minorité de ces migrants.

Après les premières périodes difficiles et meurtrières, à force de travail, une certaine prospérité s’est installée avec un accroissement très conséquent de la population. Mais la fin du 19e siècle et surtout 20e siècle a entièrement chamboulé cette situation. Ils ont été assez nombreux à chercher un nouvel eldorado, en particulier en Amérique du Nord. Lors de la chute de l’empire Austro-Hongrois en 1918, la région a été partagée entre la Serbie, la Hongrie et la Roumanie mais surtout l’évènement dramatique a été la seconde guerre mondiale où l’Allemagne les a considérés comme des Volksdeutsche, ils ont été incorporé dans la Wehrmacht et dans les Waffen SS comme d’ailleurs les Malgré-Nous Alsacien lorrains.

Conséquence, après-guerre, ils ont fui par centaines de milliers vers l’Allemagne et l’Autriche, à l’installation de pouvoirs communistes et du rideau de fer ils ont été exproprié, ceux qui sont restés ont été majoritairement déportés en Union Soviétique. Certains ont fait appel à la France de Robert Schuman : quelques familles ont pu se réfugier en France notamment à La Roque sur Pernes dans le Vaucluse. Des 5 millions de descendants de cette population, on estime qu’il n’y a plus de quelques milliers encore en Europe centrale, beaucoup ayant émigré vers l’Europe de l’Ouest à la chute du mur de Berlin en 1989. Parmi eux Herta Muller, prix Nobel de Littérature en 2007 née en 1953 à Nitzkydorf en Roumanie mais écrivant en allemand, ou Bela Bartok, chef d’orchestre et musicien.

Et pour en revenir à Janos Peter donc Johnny Weissmuller né à Freidorf en 1904, ses ancêtres paternels venaient de Hesse mais du côté maternel d’Alsace et de Lorraine. Il y a d’ailleurs eu une petite arnaque de sa part car lorsqu’il devient champion olympique en s’inscrivant avec le prénom de son frère cadet Peter né aux Etats-Unis en 1905 car lui-même est considéré comme apatride car il est né allemand, du Banat. Il n’a été naturalisé qu’après les olympiades.

Pour en savoir plus, rendez à la médiathèque de Sarreguemines où nous avons rassemblé un certain nombre d’ouvrages sur cette question et pouvons vous inviter à consulter le site Internet

Banaterra : entièrement consacré à l’immigration des Lorrains au Banat.

 

Pour en savoir plus sur ces sujets, je vous propose de nous retrouver à la médiathèque de Sarreguemines Confluences au 4 chaussée de Louvain où vous pourrez consulter les documents ayant servi à rédiger cette rubrique.

 

Chronique réalisée par Hiegel Bertrand, responsable du Francique, langues et patrimoine à la médiathèque de Sarreguemines. 

 


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